Me revoilà pour le troisième article de la série!
Aujourd’hui je vous emmène à Chiloé! Et Chiloé, c’est là. Moi ça me fait toujours bizarre de me dire que c’est encore plus bas que l’Afrique du Sud et au même niveau que la Nouvelle Zélande…
Par où commencer? Je ne pourrais pas dire que Chiloé a été un gros coup de coeur, pour de nombreuses raisons dont je vais parler après. Et pourtant, pourtant il y a quelque chose sur cette île qui reste indéniablement fascinant et mystérieux, et qui m’a malgré tout beaucoup touchée.
Pour la petite histoire, Chiloé, située au large de la région des Lacs, était à l’origine une terre indienne habitée principalement par les indiens Chonos et Huilliches. Dans les années 1530/40 les espagnols s’en mêlent, découvrent la ville, et après plusieurs expéditions, entament le processus de conquête en 1567… Elle ne fut indépendante que 8 ans après le Chili, soit en 1826. C’est juste un petit aperçu, mais si ça vous intéresse, allez en lire plus sur l’histoire de l’île c’est passionnant.
Nous sommes donc arrivées de nuit à Castro. J’avais vaguement entendu parler du fait que Chiloé était une île avec une mythologie propre et, sans trop savoir pourquoi, c’est la première chose à laquelle j’ai pensé en arrivant dans les rues sombres de Castro, sa ville principale.
Après une bonne nuit de sommeil bien méritée, on est parties découvrir un peu Castro. On est descendues depuis l’auberge sur le front de mer pour ensuite rejoindre le centre. Sur le chemin, on a du se faire siffler au moins une bonne dizaine de fois sur le chemin. Je veux bien que ça soit une île de pêcheurs et qu’on soit arrivées dans une période très très creuse niveau tourisme, qu’on avait typiquement l’allure de gringas fraîchement débarquées du continent et qu’on était particulièrement charmantes, il n’empêche. Une fois ça va, dix fois ça commence à être sérieusement agaçant. Je met quand même des photos des bateaux de pêcheurs parce que je suis pas rancunière.
La première impression, en se baladant sur le rivage et dans Castro, reste quand même que la ville semble très pauvre et un peu à la traîne…
On a néanmoins pu voir les premiers palafitos, les célèbres maisons sur pilotis de Chiloé.
A Castro, on trouve aussi l’une des nombreuses et très célèbres églises toutes en bois de l’île. Celle-ci s’appelle l’Iglesia de San Francisco. Et à l’intérieur c’est vraiment très impressionnant. Je n’ai pris que quelques photos discrètement parce qu’on s’est rendues compte en entrant qu’on arrivant en plein enterrement, c’était pas trop le moment de faire les touristes.
Comme on avait assez vite fait le tour de Castro, on s’est dit qu’on allait aller se balader sur le petit port de Dalcahue un peu plus au nord l’après-midi. En arrivant dans le village, on a eu un petit creux. Forcément on s’est dit « tiens! On est dans un village de pêcheurs, on va manger du poisson » puis « oh un restaurant vide, si on allait faire un tour? » Pauvres de nous. Note to myself : ne plus JAMAIS rentrer dans un restaurant vide. On nous a servi un saumon qui devait au moins dater de l’époque de la conquête de l’île, avec des pommes de terre à l’eau, sans sauce, sans rien. Mais au moins on avait une superbe vue sur la mer, il faut voir le positif. On s’est ensuite rendues compte que LE restaurant de Dalcahue, the place to be, était en fait… celui d’à côté.
On est quand même allées faire un tour dans le village, sans rancune. Je ne sais pas si c’était le temps ou pas, mais j’ai trouvé ça très mélancolique comme endroit, vraiment, et très rude, c’est pas facile à expliquer.
Une boutique d’artisanat.
Episode « le couchsurfing de l’Enfer »:
Et c’est après ça que ça a commencé à se gâter. On s’était dit que l’île était quand même super grande et que certains endroits étaient pas facile d’accès. Par conséquent, pour avoir un meilleure idée de quoi faire le lendemain on a voulu faire du couchsurfing, pour rencontrer des gens du coin, des vrais. Ah bah, on a pas été déçues. On a trouvé, sur couchsurfing donc, un certain Nacho qui pouvait nous héberger toutes les quatre. Il nous avait dit qu’il habitait un peu loin de Castro mais qu’il pouvait nous emmener chez lui en voiture. En arrivant au point de rendez-vous déjà on l’a trouvé très silencieux, et dans la voiture il fallait se battre pour faire la conversation. Et on roulait, on roulait, on roulait, la nuit tombait, la pluie aussi d’ailleurs. Une trentaine de kilomètres plus tard, au fin fond de la cambrousse chilote, on arrive chez lui… Une espèce de maison a moitié délabrée devant un lac. Pas de lumière chez les voisins, pas de wifi, pas de 3G, un peu de réseau, des chiens hagards qui traînaient dans le coin, et un chat au regard angoissant:
Bien. Et notre hôte était toujours aussi peu enclin à faire la conversation. Mais il a allumé du feu, en silence ou presque, pendant qu’une de mes amies se démenait pour parler et réchauffer un peu l’ambiance. Ah oui, j’oubliais presque. En entrant chez lui, on a pu découvrir qu’il avait un énorme couteau pour couper le bois au milieu du salon. Riez, mais vu tout le contexte, ça rassure pas du tout.
On avait amené de quoi faire à manger, c’est à dire des pâtes, des poivrons, un peu de thon et une bouteille de vin. On commence donc à se mettre aux fourneaux. Au moment de remplir la casserole d’eau pour faire cuire les pâtes c’est un liquide tout jaunâtre qui est sorti du robinet. Quand on a posé la question à Nacho il nous a répondu nonchalamment « ah mais oui c’est normal, ça arrive parfois parce que c’est l’eau qui vient du lac, vous savez moi je la bois comme ça hein ». Gloups.
On a quand même fait les pâtes avec, on allait pas le vexer. Passons aux poivrons. On avait sorti une grande casserole qui avait un peu de noir au fond mais on s’est dit que ça devait être incrusté que ça allait pas bouger, de toute façon on avait pas vraiment le choix. Ah, non. Avec la chaleur, la crasse s’est décollée et est venue parfumer délicatement notre festin. Autant vous dire qu’on s’est régalées ce soir-là… Je crois que ça a été un des repas les plus étrange de toute ma vie. Notre hôte nous a expliqué qu’il avait essayé deux carrières d’études mais qu’il les avait jamais terminé, alors, à 23 ans, il a décidé de venir s’exiler à Chiloé parce qu’il voulait reconnecter avec la nature. A mon avis il y avait quelque chose de plus profond là-dessous, mais je ne vais pas faire de la psychologie de comptoir. Toujours est-il que je n’ai pas dormi de la nuit, ou par tranches de 20mn, j’étais toute habillée dans mon sac de couchage, je repensais sans cesse au couteau du salon. Dehors, des oiseaux aux cris étranges ont « chanté » toute la nuit… Et la maison craquait, il pleuvait à torrents, un vrai scénario de film.
Le lendemain, alors qu’il nous avait dit qu’il voulait bien nous montrer un des parcs nationaux de l’île, Nacho ne s’est jamais réveillé, un peu exprès je pense car on a quand même fait un sacré boucan en se levant. On a donc décidé de lui laisser un mot de remerciements et de tenter de rejoindre le Parc National en stop. En sortant de la maison, on a pu voir, de jour, le cadre bucolique qui entourait notre chère demeure…
Here we are. Sur une route à moitié déserte et sous la pluie, mais toujours le sourire. Oui c’est moi sur la photo, qui fait du stop. A gauche hein, je n’ai pas pris 20 cm en 2 mois. Enfin j’imagine que vous vous en doutiez.
Un pêcheur chilote qui comme par miracle avait un 4×4 nous a prises en stop et nous a déposées près de la réserve à Cucao sur la côte est de l’île. Soulagement:
Nous voilà sur la route à chercher cette fichue réserve, en découvrant un peu plus l’île…
Sous un temps radieux comme vous pouvez le voir…
« Posta de salud rural de Cucao » Oui, ça c’est le centre médical du village. Heureusement qu’on a survécu aux pâtes aux poivrons.
Non c’était juste un bus/squat.
Quand je vous parlais de la mélancolie profonde du paysage, c’est notamment lorsque l’on rencontre les paysages comme ça. Il y a une certaine beauté dans tout ça, mais une beauté triste.
« Empanadas, fromage, viande – Ouvert » Ironie.
On a fini par trouver la réserve, le Parque Nacional Chiloe. On a commencé par le premier sentier qui fait découvrir la forêt chilote.
J’en profite pour parler de quelque chose qui m’a passionné et fasciné à Chiloé, à savoir, sa mythologie, car c’est notamment cette forêt qui a inspiré de nombreux personnages. A propos de la naissance de cette mythologie, un panneau dans le musée de la réserve disait :
» Le mythologique est une forme de pensée que l’habitant de l’île élabore à partir de sa réalité économique, sociale, et culturelle. Les êtres surnaturels qui régissent le monde de la nature et de la culture s’expriment à travers des hiérarchies avec des pouvoirs et en pleine conscience, ils connaissent et dominent des phénomènes que l’habitant de l’île lui-même ne peut ni percevoir ou contrôler. Ainsi, l’homme interagit avec la nature comme une réalité subjective, avant d’établir des relations objectives«
Voilà un petit aperçu de mes personnages chilotes préférés. J’ai acheté deux petits livrets la-dessus qui sont passionnants. Les descriptions sont tellement détaillées qu’on y croirait presque. En voici ici un petit aperçu.
EL TRAUCO
Homme de très très petite taille, foncièrement laid, avec un bonnet conique de paille, il porte une hache, un bâton et produit des grognements. Il attaque les femmes seules et les met enceintes (pratique, de dire que c’est la faute du Trauco, je dis ça je dis rien). La légende dit que malgré sa laideur, son regard de séducteur envoute les femmes qui succombent ensuite à ses charmes. Chacun ses goûts.
EL CALEUCHE
Bateau fantôme qui peut apparaître aussi rapidement que disparaître sous l’eau. A son bord se déroule une fête continue avec une ambiance de folie, et il est particulièrement illuminé et apparaît les soirs de brume. C’est le bateau des brujos, les sorciers de magie noire (ou blanche) de Chiloé. On dit que c’est la dernière demeure des marins. Les brujos sont LA figure mythique de Chiloé, une réelle congrégation. Aujourd’hui, certaines personnes prennent encore ça au sérieux et croient en leur existence.
Je m’arrête là, il y a des dizaines et des dizaines de personnages mythologiques de croyances etc. Je trouve ça absolument fascinant de voir comment ce monde parallèle s’est créé et a formé une réelle mythologie, très précise et détaillée. Et sans savoir pourquoi, cette atmosphère magique flotte un peu sur toute l’île.
Parenthèse mythologique fermée, nous avons continué sur le chemin vers la mer. Et on est arrivées à l’endroit de l’île que j’ai préféré…. Une plage immense balayée par le vent, découpée par des falaises baignées dans la brume. De nombreux petits coquillages blancs sur le sol. Juste avant d’arriver devant la mer, on avance sur des dunes avec des herbes hautes et des chevaux sauvages. C’est une nature complètement brute, sauvage, incroyablement belle dans son caractère presque hostile. On s’est avancées vers la mer, et on s’est assises là,face au Pacifique, sans rien dire, chacune dans notre petit coin de plage. Comme si l’endroit nous incitait à garder le silence et à se perdre dans ses pensées en écoutant la mer et le vent. Et ça fait du bien. (vous remarquerez que je n’ai pas encore dit une seule fois que Chiloé ressemblait par moments à la Bretagne, même si je le pense un peu).
J’ai même fait une petite vidéo panoramique…
Chiloe 01 from Julie au Chili on Vimeo.
Une fois ma méditation terminée, en attendant les filles… j’ai pris un selfie, parce que j’étais contente. Et que j’avais froid. Voilà.
Après tout ça il a bien fallu rentrer. Et comme le temps ne s’annonçait pas vraiment clément et qu’on avait vécu déjà pas mal d’aventures à Chiloé, on a décidé de suivre le soleil et de prendre un bus pour Puerto Varas dans la région des Lacs ou on annonçait un temps magnifique… La suite (et fin) de nos péripéties demain !
Julie au Chili 